LA RUE CYCLABLE

Comment faire pour intégrer un réseau cyclable dans une rue conventionnelle de centre-ville ? Comment créer un réseau cyclable continu, confortable et élégant tout en maintenant un flux pour les véhicules motorisés ? La rue cyclable offre une solution inclusive qui mutualise l'espace de la voirie entre véhicules motorisés et vélos. C'est une rue conçue comme une piste cyclable sur laquelle les véhicules sont invités.

Ce dispositif de voie partagée donne la priorité aux cyclistes. C'est une solution très efficace pour apaiser la circulation des véhicules tout en apportant confort et efficacité dans le déplacement des cyclistes et des piétons. Cette voie mixte dispose d'une largeur permettant une bonne cohabitation entre cyclistes et véhicules motorisés.

Rue cyclable (Utrecht, Pays-Bas)

Principes
• Vélo prioritaire
• Dépassement autorisé
• Vitesse maximale autorisée 15 à 30 km/h

Voici à quoi ressemble une traversée apaisée et élégante d'une rue cyclable. C'est la sortie d'école et de nombreux parents avec des enfants utilisent le passage à niveau de façon calme et sécuritaire. Le passage doit être suffisamment sûr pour les enfants de l'école primaire. Grâce à l'espace central du refuge, ils peuvent effectuer la traversée en plusieurs parties et ils n'ont à faire face qu'au trafic venant d'une seule direction à la fois.

Rue cyclable (Utrecht, Pays-Bas)


Avantages
• Rue calme, apaisée et saine
• Rue confortable pour tous
• Très bon niveau de service pour les modes actifs
• Vitesse calée sur celle des vélos (15 à 20 km/h)
• Fluidité de la circulation
• Design élégant, clair et continu

Panneau de signalisation rue cyclable

Le piéton obtient plus d'espace en supprimant au maximum les obstacles sur le trottoir et en élargissant les trottoirs.

Plus de places de stationnement pour les vélos et moins pour les voitures.

Les terrasses, la verdure, le stationnement (vélos, voitures, livraisons) sont aménagés sur les bandes fonctionnelles (sur trottoir) en bordure de chaussée, de part et d'autre de la voie.

Ce dispositif permet d'avoir deux fois plus d'arbres et plus de verdure. Il permet à l'eau de mieux s'enfoncer dans le sol (par exemple : plus grandes zones d'arbres, zones de plantation, pavés).

Simplification des carrefours avec une rue cyclable prioritaire.

Les aménageurs français ont l’habitude de ne considérer que deux domaines de voirie : la chaussée et le trottoir, délimités par une bordure de trottoir et un fil d’eau (caniveau). La chaussée ne croise aucun fil d’eau et elle est le domaine de voirie dominant : le trottoir s’interrompt à chaque fois qu’il croise la chaussée.

Intersection conventionnelle - France


Aux Pays-Bas, le trottoir est continu au niveau des intersections mineures. Il ne croise aucune bordure de trottoir (même à niveau), et évite les fils de l’eau (caniveaux). Ainsi le trottoir conserve son confort et sa lisibilité. La priorité est donnée aux piétons. Les usagers doivent littéralement monter sur le trottoir, via un rampant (rampe en béton), pour le traverser. Ce dispositif permet d'apaiser la vitesse de circulation (vélos et véhicules) et d'éviter les conflits d'usages.

Intersection conventionnelle - Pays-Bas

RÉENCHANTER LE MONDE

Tien Hwang, directrice associée de MOZ, est intervenue le jeudi 19 mai 2022 à la Table ronde Utopies en situations à l'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Lyon (ENSAL). Voici ci-après l'article complet rédigé dans le cadre de ce séminaire Paysages habités.

Le mot « utopie » a été exploré, interprété et réinventé comme l’illustrent les différents articles liés à la Table ronde Utopies en situations – l’idéal à l’épreuve du réel. Il est intéressant de voir comment un mot inventé pour le besoin d’un récit idéologiste peut devenir pluriel et pluridisciplinaire.

L’intitulé de ce troisième axe « Vivre après l’utopie » suggère que l’utopie a été réalisée et vécue. Plus encore, elle a été un échec dont on a besoin de se débarrasser. Comme soulevé très justement dans l’article « L’utopie est-elle vouée à l’échec ? », l’utopie n’est pas un objet qui a une vocation existentielle, mais un « incubateur d’idées, un moyen de se détacher du réel pour concevoir mieux ou autrement ».

Cette utopie comme processus de création est indispensable, plus que jamais, dans l’époque où nous vivons, pour réinventer le monde, ou plutôt, pour réinventer notre rapport au monde.

L’enjeu du vivant au XXIe siècle

Nous vivons une crise historique sans précédent. Cette crise n’est pas seulement climatique, environnementale ou humanitaire, c’est une crise civilisationnelle et philosophique.

Le terme « crise » doit être utilisé avec prudence. Une crise, par définition, est un état critique, instable et temporaire après lequel tout rentre dans l’ordre. Ce que nous sommes en train de vivre, est le dépérissement de la vie sur Terre. C’est la 6e extinction de masse. Ce n’est pas un état temporaire, mais un effondrement rapide de la biodiversité et de manière irréversible. Le mot « crise » pourrait donc nous laisser croire que nous pouvons sauver notre planète par des solutions techniques et technologiques comme la décarbonation et la croissance verte.

Il est important de rappeler que la Civilisation occidentale, caractérisée par l’industrialisation et le capital, a détruit en quelques décennies la moitié de la vie que la planète Terre a mis plus de 3 milliards d’années à construire. La population mondiale de vertébrés a diminué de moitié en 40 ans.

80% du végétal qui pousse en France sert à nourrir des animaux d’élevage, destinés eux-mêmes à nourrir les humains. La biomasse des animaux d’élevage dans le monde est 12 fois supérieure à la biomasse des animaux sauvages. L’étalement urbain et la mobilité croissante de la population mondiale détruisent les habitats de la faune sauvage.

La Civilisation occidentale entretien un rapport profondément dominateur et ascendant sur le vivant. Cette civilisation nous a conduit à un vision court-termiste dont l’objectif est le confort matériel et la production de richesses au détriment du vivant. Cette Civilisation a oublié que la vie humaine est interdépendante du vivant.

Cette Civilisation qui s’est imposée comme le modèle international durant les dernières décennies est profondément anthropocentrique. Elle considère que la nature est une ressource que l’on peut exploiter sans limites. A ce titre, la façon dont on utilise le mot « Environnement » en est le syndrome : tout ce qui n’est pas humain c’est tout ce qui est autour des humains. Cette pensée binaire est trop simpliste pour nous permettre d’aborder le problème complexe et multifactoriel que représente l’effondrement de la vie sur Terre. La vie dont fait partie l’être humain lui-même.

Ainsi croire en la transcendance de l’être-humain est « biologiquement faux, poétiquement triste et philosophiquement abjecte » (Aurélien Barrau).

Des utopies en échec

Cet anthropocentrisme est parfaitement illustré dans le recueil d’articles. Nous avons inventé le chemin de fer et la locomotive à vapeur. Alimentée en charbon, cette dernière a marqué non seulement le début de l’ère industrielle, mais aussi le grand bond en avant du dérèglement climatique. Le transport et la mobilité toujours croissante des populations représentent aujourd’hui 25% des émissions de gaz à effet de serre.

Nous avons inventé la station de ski et le tourisme de masse hivernal. Pour notre divertissement, nous détruisons des forêts et des pelouses alpines qui abritent une vie foisonnante, nous épuisons les nappes phréatiques pour alimenter les canons à neige. Quand même les canons à neige ne suffisent plus à faire fonctionner la station, nous abandonnons le site en laissant les infrastructures sur place.

Nous avons inventé le centre commercial qui génère de nouveaux besoins pour nous faire croire que nous ne possédons jamais assez d’objets. Par ailleurs, il est surprenant de voir comment l’acte d’achat renforce le sentiment de toute puissance chez les humains. En forme de parallélépipède entouré de grandes nappes de parking ou en architecture futuriste, ces temples de (sur)consommation résument l’image d’une économie dictée par la croissance infinie qui n’est pas soutenable par définition sur une planète aux ressources limitées.

Ces utopies réalisées répondent à des aspirations de leur époque. Le contexte historique et sociétal est intrinsèque aux pensées utopistes et sont nécessairement obsolètes. Seul l’exemple de l’écoquartier n’est peut-être pas encore obsolète. Nous avons inventé un lieu de vie avec un mode de fonctionnement engagé, sobre et en harmonie avec le vivant. Toutefois, l’engagement crée le communautarisme et la gentrification du quartier. Cette écologie élitiste devrait s’ouvrir et évoluer pour devenir plus inclusive.

Du désenchantement au réenchantement

La transformation de la société par l’industrialisation est décrite comme le « désenchantement du monde » par Max Weber, sociologue allemand (L’Ethique protestante et l’Esprit du capitalisme, 1904). Considéré comme un progrès, la raison et la science s’imposent à nous. Nous avons refoulé nos sens émotifs et notre lien sensible avec le monde à travers la croyance et la magie. Nous les avons remplacés par les faits vérifiés et explicables, la Science.

Certes, la Science nous aide à diagnostiquer l’état du monde. Elle identifie les problèmes, elle nous donne les chiffres. Elle peut effectivement proposer des solutions techniques, technologiques pour créer un monde meilleur. Mais encore faut-il que nous définissions ce monde meilleur (utopie ?). Il serait inutile voire contre-productif de sauter dans un train sans en connaître la destination.

Aujourd’hui, nous avons besoin plus que jamais de la pensée utopiste pour réenchanter le monde. Nous devons réinventer notre rapport au vivant.

La pensée écologiste est née dans les années 60. L’éveil de la conscience écologique est extrêmement lent par rapport à la vitesse de destruction de la vie. Pour incurver cette trajectoire, il nous faut être audacieux, il nous faut être créatif, il nous faut être philosophe.

Il est nécessaire de rappeler que l’utopie est avant tout une notion philosophique, une aspiration vers un monde meilleur. La création architecturale peut parfois constituer un piège qui emprisonne notre liberté de penser en fabriquant une réalité rassurante mais trompeuse.

Les utopies marines en sont un exemple concret. L’architecte nous promet des villes flottantes « autosuffisantes et zéro émission carbone ». Soit, mais avant de réaliser ce rêve façon Jules Verne, ne devons-nous pas d’abord réfléchir aux problèmes planétaires tels que les continents de plastiques au cœur de nos océans, le chalutage profond détruisant les fonds marins, la réduction de la production de plastiques ?

Quel est le sens du métier d’être architecte au XXIe siècle face à cette triple crise dérèglement climatique, érosion de la biodiversité et pollution ? Notre responsabilité ne doit-elle pas être à la fois dans l’acte de construire et l’acte de penser ?


POUR UN URBANISME CYCLABLE

L’objectif de cette recherche est d’apporter des réponses concrètes à une seule question, simple mais essentielle : comment aménager les rues dans une ville cyclable ? Dans ces articles, les solutions s’inspirent des villes les plus cyclables, notamment aux Pays-Bas et au Danemark. Profiter de l’expérience de ces villes constitue le chemin le plus sûr pour réussir.

Pour démultiplier durablement les déplacements à vélos, il faut accélérer la mise en place d’un réseau sécurisé de pistes cyclables connectées entre elles. Les Voies Lyonnaises ont pour objectif d'anticiper l'augmentation d'utilisation du vélo comme mode de transport dans la métropole de Lyon. Le réseau est voué à un haut niveau d'utilisation du vélo. Il n'est pas créé pour la part modale actuelle du vélo mais il anticipe son augmentation. Pour se faire, il ne doit pas être sous-dimensionné, mais pensé généreusement, pour créer un réseau global, cohérent, continu et sûr.

Carte des Voies Lyonnaises (Métropole de Lyon)

Ainsi, il est préférable d'opter pour des pistes cyclables unidirectionnelles et/ou bidirectionnelles suivant les caractéristiques des sections urbaines concernées :

Section avec de nombreuses intersections et carrefours (centre-ville, tissu urbain dense, grands boulevards ou avenues)

la piste unidirectionnelle est à privilégier

Elle constitue un troisième domaine de voirie, distinct de la chaussée et du trottoir. Elle est toujours située à droite de la chaussée ou du stationnement automobile et permet une bonne gestion des intersections.

Section avec peu d'intersections (le long d'un fleuve, d'une voie ferrée ou en campagne)

la piste bidirectionnelle est à favoriser.

Elle est complètement séparée et protégée de la chaussée.

Exemple de piste bidirectionnelle

Pour assurer davantage de sécurité aux cyclistes il est nécessaire d'implanter une bande fonctionnelle d'au moins 2,30m de large, d'autant plus lorsqu'une ligne de bus est présente sur la section.

La piste cyclable est située entre le trottoir et la bande fonctionnelle qui assure la séparation chaussée-piste et accueille, selon le contexte : du stationnement vélo/auto, des refuges piétons, des quais bus, des espaces de stockage pour les traversées des vélos, du mobilier urbain (feux et panneaux de signalisation, éclairage public…), des arbres et de la végétalisation, des espaces de livraison...

Coupe de principe - bande fonctionnelle (Source Paris en selle)
Plan de principe - bande fonctionnelle (Source Paris en selle)

UNE BRÈVE HISTOIRE DE LA CONCEPTION DES VOIRIES

L'urbanisme, dominé par l'idéologie moderniste depuis les années 60, accorde encore trop souvent la priorité à la circulation automobile. Il néglige par le fait même la fonction de l'espace urbain comme lieu de rencontre et, a fortiori, espace de conversation démocratique.

A son apparition, la voiture n'était pas appréciée du fait des nombreux accidents qu'elle causait. C'est grâce à une communication demandant aux habitants de quitter les voies pour les laisser aux voitures, que peu à peu, l'automobile a pris possession de l'espace public. Les voiries ont ensuite été conçues de manière à faciliter le trajet de la voiture et les divers aménagements de la ville sont centrés autour de l'automobile. Seulement deux décennies ont suffit à enlever à la rue son statut d'espace démocratique.

Source Copenhagenize

Les citoyens des pays centrés autour de l'automobile ne voient plus les dangers de l'automobile. Ou peut être en ont-ils eu conscience, mais cette information est bien loin dans leurs esprits ; la voiture est tellement ancrée et enracinée dans la culture et la société actuelle. Symbole de réussite et de modernité, les habitants ont du mal à s'en passer, ils en sont dépendants.

Tout comme arrêter de fumer est un long combat, réduire la dépendance à la voiture et diminuer les espaces qui leur sont attribués dans nos villes est une lutte sur le long terme.

Ces temps longs permettent d'accompagner les habitants dans une transition de mobilités, en leur proposant des alternatives qualitatives.


FAVORISER LES DÉPLACEMENTS À PIED ET À VÉLO

Nombreux sont les défis démographiques et écologiques du XXIe siècle : pollution, nuisances sonores et accidentogènes, manque de cohésion sociale, impact sanitaire, enjeux économiques. Pour y faire face, nous proposons de renverser cette perspective et de remettre l'humain au centre de la préoccupations de l'urbanisme.

Source Copenhagenize

Il s'agit de présenter des pistes d'actions concrètes pour développer des villes animées, sûres, durables, et saines. Nous misons sur les déplacements à pied et en vélo pour renforcer la vie urbaine. Des espaces urbains de qualité contribuent à l'avènement d'une société durable, ouverte et démocratique.

Source Copenhagenize

L'objectif, c'est de passer d'une vision d'ingénieurs trafics centrée sur la voiture à une vision de la voirie partagée pour tous les modes de déplacement.

Faciliter les déplacements actifs, qui présentent l’avantage de demander beaucoup moins d’espace que la voiture, suppose de faire l’inverse de ce qui a été fait partout depuis les années 1950 : rendre plus compliquée la circulation des automobiles et plus simple celle des piétons et des cyclistes.

Source Copenhagenize

Pour garantir le succès du vélo dans votre ville, l'objectif est de créer un environnement urbain favorable qui fait du vélo un choix aussi simple et intuitif que s'asseoir sur une chaise.

Cela est rendu possible si les infrastructures répondent aux trois principes fondamentaux du design danois :

  1. pratique,
  2. fonctionnel
  3. élégant
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